Décembre 2017 - Décembre 2020. 3 ans pour écrire un récit de voyage. J’ai failli me convaincre que cela n'a pas d’intérêt de raconter une histoire si longtemps après l’avoir vécue, mais j’ai finalement suivi mon idée initiale. 

Décembre 2017 donc, j’ai le Sénégal en ligne de mire. Je vais enfin pouvoir découvrir l’Afrique de l’Ouest, du moins une petite partie. Après avoir eu la chance de vivre à Djibouti, de voyager au Rwanda et au Kenya, j’ai l’occasion d’assouvir ma soif de découverte du Continent. 
La clé de ce projet c’est Kiki. Après lui avoir fait goûter “ma” Guadeloupe plus tôt la même année, c’est à lui de m’initier aux saveurs de “son” Sénégal. Durant la majorité de mon séjour je suis logé dans sa famille, à Dakar, quartier HLM Grand Médine. Pour moi c’est une chance et un luxe de me retrouver au cœur de la vie d’un pays que je visite. Te mando miles de gracias papi.

Même si les années se sont écoulées depuis ma visite, les souvenirs d’un tel voyage restent vifs. Cela dit, les images sont vives mais les saveurs s’estompent un peu malgré moi. Et pour qui aime manger, le Sénégal, comme tant d’autres pays, foisonne de saveurs. Des fruits aux légumes, en passant par les boissons...dont une en particulier. Le Ataya. Une boisson chaude, qui marque mon séjour de son empreinte, pas seulement pour une question de goût, mais surtout pour une question de tradition, de rituel. Je m’y attarderai longuement un peu plus tard.

Durant mes premiers jours, je rencontre la famille de Kiki, une grande famille, (mal)heureusement rassemblée pour commémorer la vie d’un des leurs récemment parti. S’en suit ma visite de Dakar et alentours en plusieurs étapes; le quartier où je réside - HLM Grand Médine - avec son immense plage, théâtre d’une multitude d’activités allant du football à la pêche; le centre ville, où l’on passera beaucoup de temps chez les tailleurs du marché Sandaga; la tristement célèbre Île de Gorée, sa maison des esclaves et sa porte du non-retour (aussi appelée Porte du voyage sans retour). Durant la traite esclavagiste, les habitants des pays capturés étaient entassés proche du littoral ou sur des îles proches du littoral, avant d’être embarqués pour les Amériques. Il n’y a donc pas qu’une seule porte du non-retour au Sénégal, ni sur les côtes Ouest-Africaines.
Un excursion à Lompoul, dans le Nord du Sénégal, avec Kiki, Tijoe et Sokhna que je salue au passage, me permet de découvrir, enfin, le paysage très singulier du désert: du sable, des dunes, du sable, des dunes, et encore plus de sable et plus de dunes. Entre deux dunes, l’écolodge de Lompoul, camp aménagé en plein désert. Plus glamping que camping, mais vraiment unique, l’expérience vaut le détour. Derrière une énième dune située à l'est de Lompoul, le village de pêcheurs de Tiougoune. En route vers Tiougoune, c’est impressionnant de voir comment, en un coup de crayon, les grains de sable qui dessinent le désert tracent maintenant les lignes d’une immense plage qui mène au village de pêcheur. L’occasion pour moi de me rendre compte de la grandeur des espaces, couverts parfois (souvent?) à pieds par les habitants de la région, et l’occasion aussi de voler le portrait d’un passager qu’on récupère sur la plage.
Après Lompoul, “L'Aventure ” la plus mémorable de mon séjour. Le voyage en Casamance, région tropicale du Sud du Sénégal, en bus depuis Dakar, avec traversée du fleuve ou s’est baigné Kounta Kinté quand il était petit, le fleuve Gambie. Ma destination s’appelle Cap Skirring, juste au sud-ouest de Ziguinchor, une des villes principales de Casamance. Il n’y a “que” 500 km à couvrir environ, mais le voyage durera 21h au total, avec une courte portion faite en voiture car le chauffeur du bus me laissera à la frontière Sénégal-Gambie pendant que je négociais le prix du visa. Mésaventure qui se produira bien sûr en pleine nuit, où je serai seul, car l’unique passager du bus à n’être ni Sénégalais ni Gambien, donc, à avoir besoin d’un visa. Moyennant une petite somme d’argent, ma bonne étoile me permet de garder mon calme et trouver un chauffeur qui me conduit de la frontière à Barra (en Gambie donc) où se trouve mon bus - avec l’autre moitié de mes affaires qui n’étaient pas sur moi - stationné en attendant l’ouverture du ferry au petit matin...De loin la plus grosse frayeur que j’ai eu pendant un voyage. Non, la plus grosse frayeur que j’ai eu, tout court. ​​​​​​​
Pendant que je vis l’histoire, je me dis que si “je m’en sors” il faut absolument que je l’écrive. Et c’est ce que je fais dès que je remonte dans le bus. Donc la voici, telle qu’écrite “à chaud”:

[...] Le chauffeur du bus (un vieux Renault des années 90-2000), a 3 gros autocollants sur son rétroviseur intérieur...je vais assumer qu' il ne s' en sert pas bcp (du rétroviseur). La pomme de Apple, le logo Sony, et le logo NY des Yankees sont ses sponsors non officiels.

Casamance me voilà.

Mais pas si vite. On arrive à la frontière gambienne un peu avant minuit. Je me rappelle de ce que m'a dit le gars au “guichet” quand j'ai acheté mon billet...de ne pas dire que je suis français sinon je vais devoir payer 40 000 CFA pour mon visa. Donc me disant que j'ai aussi mes papiers canadiens je me suis dit que ca allait passer…

Donc on arrive à la douane. Dans le bus on me fait signe qu'il faut que je sorte ma pièce d'identité. Je pense bien faire en faisant comme les autres et en sortant. Je prends juste le petit sac que j’ai avec moi. Mon autre sac à dos, plus gros et avec mes affaires de valeurs, est au-dessus de moi dans le compartiment bagages et y reste le temps de ma descente éclair à la douane.
Je sors, je donne mon permis de conduire Canadien, ça ne passe pas. Je donne ma carte de Résident Permanent ça ne passe pas non plus. Il me demande mon passeport, que je lui donne. Là, il m'envoie dans un bureau derrière lui et me dit que j'ai besoin d'un visa. Ce que je ne voulais pas qui se reproduise est en train d'arriver. Je reste positif en me disant que je vais pouvoir y échapper. Et ça tourne (presque) à la scène de film: j'arrive dans un petit bâtiment insalubre avec une minuscule prison (et quelqu’un dedans). Je vais déjà dans un bureau où le 1er douanier note mon nom et numéro de passeport dans un registre. Puis, il m'envoie dans un autre bureau avec un autre douanier, certainement son patron. Là, il m'explique que le prix des visas pour les français c'est 40 000 CFA (c'est la moitié du prix du billet d’avion pour ma destination et c'est plus que le prix total du voyage en bateau...). Bien entendu je fais la mine surprise et lui dit que je n'en savais rien, que je n'avais pas été prévenu à l'achat et que c'est une somme considérable que je n'avais aucunement prévu de dépenser (j'ai quand même le cash dans ma poche au cas ou). S'en suive quelques secondes étranges où je sens que tout ça est très très informel. Je joue le touriste surpris et fait jouer le fait que je réside au Canada. Je demande si de ce fait ils ne peuvent pas couper le prix. Il me demande 30 000 CFA...et me dit “il faut m'aider” j' en propose 20 000. Il accepte....et signe aussitôt mon passeport. Je ressors en ayant le sentiment d'avoir limité la casse pour reprendre mon bus et continuer ma route.

J'ai passé à peu près 10 minutes avec eux mais je ne me dis pas une seule seconde que le bus ne m’aurait pas attendu pour repartir. Pourtant si. Pas de bus. Mon bus est parti avec mes affaires dedans. Là je crois vraiment halluciner. Je viens d’échapper à un racket par la douane pour juste transiter dans leur pays, mais en plus je perds mon bus. Je suis au milieu de nulle part, seul, en pleine nuit. 

Même si j'ai la même couleur de peau que le reste des gens, cet endroit n'inspire pas la sécurité. Étrangement je ne panique pas trop et garde mon calme. Je suis super inquiet certes, mais je ne me dis pas que c'est perdu... bref, instinct de survie.
Le douanier qui m'a fait rentrer en premier lieu, et qui a assisté à toute la scène me propose de m'aider...à la condition que moi je l'aide. Je la sentais venir grosse comme une maison celle là. Dans ma tête je l'insulte de tous les noms mais il a le pouvoir, donc je joue le faible et lui explique que je viens de laisser beaucoup d’argent à la douane, ce qui n'était pas prévu. Il me dit qu’il faut qu’il fasse manger ses enfants...je l’insulte (intérieurement). Je suis deja dans la merde où j’ai plus pieds mais lui m’attache les pieds pour m’empêcher de nager. Je lui dit que je peux mettre 2000 CFA pour qu'il me conduise au bus. À sa tête ça ne semble pas être assez. Je me sens vraiment pris en guets-apens. J'en offre 4000 car je dois vraiment rattraper mon bus, mais je sais aussi que plus je lui donne l'impression d'en avoir plus il va me taxer. Il accepte à 4000 et va chercher les clés d'une voiture. 
On monte, et il me demande de voir l'argent. Il regarde et me dit qu'il avait pas compris que je parlais en CFA, mais en monnaie Gambienne...d'après lui. Du coup il me fait sortir de voiture et m'explique qu'il va trouver une autre solution. Je lui dis que j'ai vraiment besoin de son aide mais en même temps je ne peux pas baisser ma culotte pour lui dire que je suis prêt à faire n'importe quoi. Il m'amène voir d'autres personnes qui étaient près du poste de douanes. Ils parlent en wolof mais de ce que je comprends il propose à quelqu’un 4000 CFA pour me conduire au bus. Il me 'rassure' au passage me disant que comme il est minuit passé le bus ne prendra le ferry que demain matin...mais ça ne me rassure pas. Je n'ai aucun moyen de confirmer l'info. Déjà il essaye de me tirer mes sous, pourquoi je le croirais. 
Les minutes défilent et je me dis chaque seconde m'éloigne un peu plus du bus. Je n'ai toujours aucune idée d'où on est précisément. Donc toujours pas vraiment rassuré, mais pas sans espoir. L'autre gars accepte le deal. Il va me conduire au bus. Je lui donne 5000 CFA et il est censé me rendre la monnaie une fois arrivé.

La scène est encore un scénario de film mystique. Il fait super noir. Ils sont deux à l'avant et moi tout seul à l’arrière dans ce grand monospace, assis dans le siège du coffre, je sais pas pourquoi. On n'échange pas un mot. La route est une grande ligne droite. Je vois qu'on passe plusieurs villages en chemin grâce aux noms des panneaux, mais je ne vois que très peu de maisons en bordure de route. En chemin, 3 checkpoints de la police ou de l'armée, aucune idée. Le gars qui fait le tour de la voiture est armé d’une grosse mitraillette. Lorsque le chauffeur s'arrête à chacun des checkpoints je sens que c' est l' endroit où il ne faut pas déconner. Il y a comme une tension. A chaque fois un mot ou deux s'échangent entre le chauffeur et le policier/militaire du checkpoint. J’ai pas l'impression qu'ils se disent grand chose. C'est peut être leur routine je sais pas, mais je crains de me faire demander mes papiers pour encore me faire racketter de l'argent parce que j'ai un passeport Francais. Donc je bouge pas. Le gars fait un tour avec sa torche, éclaire la voiture et les passagers, et on continue notre route.

À ce moment-là, j'ai un peu perdu la notion du temps. Il est minuit passé c'est sûr. Et j'ai perdu au total au moins 20min à payer la douane et trouver une voiture pour me faire rattraper le bus. En 20min je me dis que le bus doit être bien loin déjà et à l' allure où on roule, même si c’était une vitesse raisonnable je crains qu'on arrive à rattraper le bus en marche. Tout ce que j'espère c'est d'arriver au ferry et constater ce que le premier douanier m’a dit. Après environ 15 minutes de route, c'est bon. On arrive. Je vois le bus. Je descends, je récupère mon change et remonte aussitôt dans le bus. Quand je reviens tout le monde est soulagé de me revoir et se met à applaudir! En fait, pas du tout. Je remonte comme si j'étais descendu pisser 2 minutes avant. J'ai l'impression que personne n'a vu que je manquais à l'appel. Mais le truc c'est qu'ils ne font pas l'appel, pas de comptage de passagers non plus sauf au départ pour s'assurer que l'argent récolté sur les ventes de place correspond bien au nombre de personnes dans le bus. Et ça serait impossible de faire l'appel car on prend de nouveaux passagers tout au long de la route. Dès que le bus s'arrête ou ralentit, quelqu’un saute dedans (nouveaux passagers ou vendeurs ambulants). Bref, aussitôt remonté je m'assure que mon sac avec tout le reste de mes affaires est bien là. Il n'avait pas bougé d'un poil. Seulement là j'étais soulagé. Je vois dans les yeux de ma voisine qu'elle est quand même contente de me voir me rasseoir à côté d'elle, même si elle ne peut pas me le dire.
Mon plan initial était de passer par la Gambie au retour et visiter un peu Banjul, sa capitale, mais après ma mésaventure je supprime aussitôt l'idée. Certes je suis à chaud mais les douaniers m'ont fait retenir la leçon [...]

Cap Skirring finit quand même par me sourire, un sourire hospitalier et chaleureux, porté les rencontres et expériences que je fais là-bas. Cap Skirring est une station balnéaire fréquentée par les Sénégalais et très fréquentée par les touristes étrangers - la présence d’un Club Med en témoigne. Nombreux y sont les “couples” mixtes avec un grand écart d’âge. 99% du temps, le partenaire le plus âgé est étranger et le partenaire le plus jeune est local. Oui...il y a des pays où c’est comme ça. Une visite m’emmènent dans la campagne de Cap Skirring: rizières, palmiers (d’où est extrait le vin), fromagers, villages. Le tout d’un vert qui contraste énormément avec la couleur sableuse de Dakar et du Nord du pays. 
Une autre visite, seul avec un guide de la région, me fait découvrir les bolongs de Casamance, traverser des mangroves, accéder à des villages reculés accessibles uniquement par bateau, rencontrer ses habitants et goûter leur miel artisanal (qui fera le voyage retour jusqu’au Canada, pour finir avec moi en Colombie!). Je vois beaucoup de choses en très peu de temps, et ce que j’ai l’occasion de remarquer c’est la distance. Une grande et belle distance. Entre leur vie et la mienne. Et les deux fonctionnent. Différemment.

Mon premier jour à Cap Skirring je rencontre Moussou qui tient une boutique qui s’appelle Moussou Boissons. À mon habitude je regarde les rhums, je vois qu’on s’exporte, enfin “on”. 
C’est bien de se l’approprier mais je me demande s’il est vraiment à nous. Bref. Je demande à Moussou de bonnes adresses pour manger, elle me donne trois noms. Je demande si c'est des restaurants européens, elle me dit oui. Je rigole. Être noir au Sénégal ne veut pas dire que tu veux manger Sénégalais, j’ai tendance à l’oublier. Moussa me montre du doigt un restaurant en face de sa boutique. Chez Awa. Ça paye pas de mine comme on dit. Vraiment le petit restaurant discret et très simple...tout ce que j’aime.
Chez Awa, on ne m’accueille pas, on m’adopte. Sur les 4 jours que je passe au Cap, il n’y a qu’un repas que je ne mange pas chez elle(s). Et je ne mange jamais dans la salle principale, je prends tous mes repas en cuisine, avec le reste de la famille, sans jamais manger deux fois la même chose. Évidemment je suis comblé. Chez Awa, la patronne s'appelle Khady, elle y travaille avec ses filles et Fatou. 
La première fois que je passe le rideau du restaurant j’arrive après le service du midi. Elle me propose de revenir le soir. Je lui demande si ça ne la dérange pas que je vienne un peu plus tôt pour assister à la préparation, j’ai besoin d’apprendre les recettes et de prendre des photos...mais ça n'arrive pas. Du coup j’arrive “seulement” pour manger, en cuisine, avec le reste de la famille. Quand je dis cuisine il faut s’imaginer une petite terrasse couverte qui se trouve juste derrière le restaurant, avec rien de superflu: quelques chaises, bassines faits-touts et petits foyers à charbon. Un vrai espace de vie: on y cuisine, on y fait la vaisselle, on y mange, on s’y rassemble, et en autres choses, on y prend le thé. LE traditionnel thé Sénégalais, qui est bien plus qu’une boisson chaude mais un rituel culturel, j’ai nommé le Ataya.

En écrivant mes notes de voyage je me suis dit (naïvement) qu’avec ce récit sur cette tradition racontée de “l’intérieur”,  je tenais quelque chose d’exceptionnel! Mais ça c'était avant de googler “Ataya”. Bien évidemment je n’ai pas été le seul visiteur, ou touriste, à être marqué par la scène. J’ai vu quelques descriptions très précises et des photos vraiment magnifiques. Bon...aux vues d’autres articles plus accomplis je me suis demandé si ça valait toujours le coup de publier mon expérience. Heureusement mon hésitation n’était pas longue. C’est mon récit, propre à mon expérience et mes souvenirs, qui va vivre sur mon site. “Donc oui Jo, publie le! Ça fait déjà 3 ans que tu devais le faire!”
Pour rester authentique à mon expérience, j’ai aussi décidé de publier cette partie telle que je l’avais écrite à chaud après mon dernier jour en Casamance: 

[...] Comme d’habitude je traverse le restaurant pour aller directement en cuisine avec le reste de la famille qui est en train d’aider à préparer. Elles m’accueillent toutes tellement chaleureusement que mon cœur gonfle à chaque fois. Fatou était déjà en train de préparer ses légumes pour le soir, du coup je m’assoie et je l’aide, mais pas pour très longtemps. Awa (Adi/Khady) semble voir que j’ai un visage fatigué, donc elle me dit de manger et d’aller me reposer ensuite. Je suis le premier servi. Une assiette pleine de riz blanc cassé et des oignons caramélisés, une cuisse de poulet grillée et un peu de piment. Un seau renversé en guise de table et je mange, ou comme je dis souvent ici, je me régale. La première bouchée est un feu d’artifice de saveurs. La cuisine d’une maman a toujours ce goût spécial. À croire qu’être maman est un ingrédient supplémentaire à lui seul. D’autres amis de la famille se joignent à nous en arrière-cuisine pour déjeuner. Ici, la plupart des business ferment entre 13h et 15h, ce qui leur laisse le temps de prendre leur temps pour bien déjeuner et faire une vraie coupure avant de reprendre le travail.

Le mot a vite circulé que maintenant je savais préparer le Ataya, LE thé traditionnel Sénégalais. En effet j’ai eu la chance d’apprendre la veille au soir avec Fatou et Pape cette tradition locale, ce rituel. Tout le monde est donc curieux de savoir le goût que va avoir mon thé. 

Donc je m’y mets : le fourneau, la paille, le charbon. J’allume le feu, Adama me donne un coup de main mais je suis un peu comme un gamin qui veut montrer qu’il sait faire tout seul. Le ramasse poussière me sert de soufflet pour que le feu prenne plus vite. Quelques minutes après, les braises sont luisantes donc j'y pose la théière avec le thé et la quantité d'eau suffisante. Le thé est vendu en dose, une petite boîte d’une centaine de grammes permet de faire un thé. Un thé c’est en général 3 services. De ce que j’ai vu et compris, on rajoute des feuilles de thé, du sucre et du nana (menthe) à chaque service. Ce thé n’a rien à voir avec le café qu’on va prendre en fin de repas avant de partir. Par exemple, l'expresso est aussi court, que rapide à faire et à boire. Le Ataya...pas du tout. C’est un thé social. Le processus est relativement long pour au final ne boire que quelques gorgées (autant que dans un expresso). On prend le temps (littéralement) de réaliser chaque étape du rituel avec sa famille, ses amis. On prépare pendant qu’on discute et qu’on partage. Le Partage étant un des piliers, voire le pilier de la tradition Sénégalaise. Et ça prend absolument tout son sens lorsqu’on entend parler de la Teranga (hospitalité). Le partage c’est la base de l’hospitalité, on offre ce qu’on a. Ici c’est naturel. Et venant d’un pays qui a une culture un peu plus individualiste (je viens tout juste de passer plus de 4 années et demi au Canada à l’heure ou j’écris) ce sont des choses que j’apprécie énormément ici et qui me rappellent une fois de plus la proximité de nos cultures – Antilles et Sénégal. Bref je m’égare un fois de plus.
On utilise environ les ¾ d’une dose pour le premier service, les ¾ d’une tasse de sucre, autant de tasses d’eau qu’il y a de personnes et un peu de menthe. Jusqu’à maintenant je n’ai pas vu plus de 5 personnes, donc 5 tasses, sur un thé (je m’aperçois de la difficulté d’écrire une recette car les doses ne changent pas proportionnellement…demandez à un vrai Sénégalais si vous voulez une vraie recette). On ne fait pas bouillir le thé, on le cuit. La théière reste sur le fourneau un bon petit moment, impossible à quantifier, je n’avais pas de montre en main, mais une fois que l'eau est portée à ébullition il faut attendre un peu. Après ça on prend deux tasses et une assiette pour le leuwel. On verse d'abord le thé dans une tasse puis on le transverse d'une tasse à l' autre avec un geste ample et en levant bien haut la tasse que l'on vide de son contenu. La répétition du geste fait mousser le thé. C'est la scène typique par excellence. Je l'ai vu faire des dizaines de fois depuis mon arrivée avant d'avoir la chance de participer au processus de réalisation. Voir les gens le faire semble très simple, mais comme beaucoup de choses qui paraissent simples c'est la pratique et la répétition du geste qui donne cette illusion. Alors là on lit et on se demande depuis quand c'est difficile de faire du thé? Deux choses: les deux tasses sont en verre, remplies d'un thé bouillant. On verse d'une tasse à l'autre avec ses doigts...mais les tasses sont brûlantes...seulement pour moi visiblement. Toutes les personnes que j'ai vu faire n'ont absolument aucun problème avec ça. La peau des mains douce et fine c'est bien mais dans cette situation c'est pas pratique. Ensuite, la deuxième chose c'est la précision. Ce grand geste que tu dois faire pour verser d'une tasse à une autre...bah le but du jeu c'est de pas en mettre à côté évidemment, et c'est pas forcément très simple les premières fois.
Bon tout ca pour dire que tout de même je m'en sors pas trop mal, loin d'être parfait mais loin d'être ridicule pour une deuxième, surtout avec tous ces yeux rivés sur moi. 
Le moment de vérité approche. Une fois le thé moussé, on le remet dans la théière, on remue un peu le tout et on peut procéder au premier service. Cette fois, lorsque l'on transverse de la théière aux tasses on donne cette même amplitude au geste (comme chez les Maghrébins) pour encore bien faire mousser le thé. La réussite n'est pas seulement gustative, elle doit être visuelle aussi. Attention toutefois à ne pas servir le thé brûlant où on te dira que tu es un homme jaloux.
Le Ataya se boit bruyamment, on fait de grands 'sluuuuurp' à chaque petites gorgées prises. Apparemment c’est pour faire rentrer de l'air dans sa bouche qui doit servir à refroidir un peu le breuvage chaud.
Même si on était plus que deux ce jour-là, le service se fait deux par deux. Encore une fois ces aspects de la tradition Sénégalaise me marquent: le partage et le rapport au temps. Le premier service se fait donc en deux ou trois tournées. C'est celui ou le thé est le plus fort. Les retours sont unanimement positifs, je pense que la politesse envers l'apprenti y est pour beaucoup mais cela dit ça fait plaisir. Je ne suis moi même pas mécontent du goût.
On répète quasiment les mêmes étapes pour les deux services suivants. A la fin du troisième j'ai un vrai coup de fatigue. Déjà l'heure de dire au revoir à certains que je ne verrai plus et à plus tard aux autres que je verrai quelques heures plus tard pour le dîner. Pour l'heure je dois rentrer me laver, préparer mes affaires et me poser un peu avant de repartir en bus pour Dakar, le même soir à 22h [...]

On sent la fatigue sur la fin du récit, mais j’espère que la description du rituel est assez fidèle (et qu’elle n’a pas changé depuis mon séjour là-bas il y a 3 ans!). Le retour à Dakar se fait en seulement 19h, soit deux heures de moins qu’à l’aller! Djadjef Ady, ta famille, tes amis et le Cap Skirring!
La suite du séjour se poursuit et s’achève avec Kiki et sa famille. Mbour (École de Mbackombel), Kaolak, Lodge du Keur Saloum. Et quelques semaines plus tard commencera Sabrosura, mon année en Colombie...

Sum Sum!* ​​​​​​​
* “C'est bon!” en Diola, langue et peuple Casamançais

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